Petite Robe Rouge
COMPTE-RENDU CAFE des LECTEURS n° 14 - 7/04/2018
D’abord deux lectures à haute voix pour ce début du café des lecteurs, le quatorzième du nom, issues de découvertes insolites dans les rayons des bibliothèques …!
« Cent-seize chinois et quelques » Thomas Heams-Ogus 2010
Cela se passe entre 1941 et 1943, dans les Abruzzes. Non loin du Gran Sasso, cette écrasante montagne qui impose sa force tellurique comme une ombre portée sur le temps. Par une de ces décisions absurdes et nocives dont le fascisme est friand, les Chinois de la péninsule ont tous été internés ici et constituent une étrange communauté, dont le mutisme est peut-être la meilleure protection. Ils sont à un moment cent seize, parfois moins, parfois plus. La vie s’écoule, sans but et sans substance. Un jour, les autorités organisent une grande cérémonie, drolatique et insensée, de conversion au catholicisme. Puis le labeur reprend, aux champs ou ailleurs, dans un mélange d’ennui, de désarroi et de fausse résignation, jusqu’au jour où tout bouge et où le groupe se disperse. Est-ce parce qu’ils étaient une masse silencieuse et disciplinée, est-ce parce qu’ils venaient d’ailleurs, de cet Orient lointain, que l’Histoire les a gommés ? L’auteur, en restituant une page oubliée de l’Italie mussolinienne, offre une métaphore de l’exil, de l’immigration et des menaces de l’intolérance.
« Kant et la petite robe rouge » Lamia Berrada-Berca 2011
La naissance du désir et la découverte du savoir incitent une jeune épouse, entravée sous un voile/vêtement noir, à s’ouvrir au monde.
La rencontre cruciale avec une robe rouge et l’injonction : « Ose savoir », formulée dans un livre du philosophe Emmanuel Kant, entraînent la jeune femme dans une révolution intérieure qui va changer le cours de sa vie. Souffle le vent de la liberté individuelle.
En écho à la réédition de ce récit lapidaire et poétique, Lamia Berrada-Berca offre un corpus de textes – principalement issus des Lumières – pour prolonger la réflexion sur la liberté de chacun. Envisager l’autre comme un être singulier et libre.
EXTRAIT :
« Elle est passée devant d’abord sans la voir.
Sans vouloir voir en fait.
A cause du voile, sans doute, qui la rend différente.
Puis le lendemain elle est repassée devant et là, il s’est produit un changement étonnant.
Elle a senti qu’elle en avait le désir. Le désir c’est une chose oubliée en elle sur laquelle se sont accumulés des jours, des mois, des années de mutisme parfait. Un désir dérisoire, elle s’en rend bien compte, coupable d’exister puisqu’il n’est enraciné en rien de louable.
En même temps, comment distinguer ce qui est louable de ce qui ne l’est pas ?
A trente-trois ans elle a envie, oui, pour la première fois elle saurait, elle pourrait l’exprimer à peu près ainsi : elle a envie de cette robe rouge.
Ce n’est pas un désir.
Ce n’est pas juste pour la robe.
Mais le fait qu’elle soit rouge, cela en soi suffit.
Elle pense alors qu’elle est devenue folle, et court se mettre chez elle à l’abri.»
Nous vous conseillons vivement ces deux textes et les tenons à la disposition de ceux qui auraient plaisir à les lire !
Quelques lectures où il est question de la vie des amérindiens :
- Jim Fergus « Mille femmes blanches » 1998 suivi de « La vengeance des mères » 2016
« Mille femmes blanches » C'est un fait historique qui sert de base à ce roman : En 1874, à Washington, le président Grant accepte la proposition incroyable du chef indien Little Wolf : troquer mille femmes blanches contre chevaux et bisons pour favoriser l'intégration du peuple indien. Si quelques femmes se portent volontaires, la plupart viennent en réalité des pénitenciers et des asiles... l'une d'elles, May Dodd, apprend sa nouvelle vie de squaw et les rites des Indiens. Mariée à un puissant guerrier, elle découvre les combats violents entre tribus et les ravages provoqués par l'alcool. Aux côtés de femmes de toutes origines, elle assiste à l'agonie de son peuple d'adoption...
Le livre est présenté sous forme des carnets intimes de cette May Dodd, retrouvés dans les archives cheyennes par J. Will Dodd, un des descendants de celle-ci, journaliste indépendant.
« La vengeance des mères » : 1875. En dépit de tous les traités, la tribu du chef cheyenne Little Wolf, qui avait échangé mille chevaux contre mille femmes blanches pour les marier à ses guerriers, ne tarde pas à être exterminée par l'armée américaine. Quelques femmes blanches seulement échappent à ce massacre. Parmi elles, deux sœurs, Margaret et Susan Kelly. Prêtes à tout pour venger la mort de leurs enfants, elles décident de prendre le parti du peuple indien et vont se lancer à corps perdu dans une lutte désespérée pour leur survie...
- « Le premier qui pleure a perdu » Sherman Alexie 2008
Voici les péripéties poignantes et drôles de Junior, un jeune Indien Spokane, né dans une Réserve. Rien ne lui sera épargné ; il a été le bébé qui a survécu par miracle, l’enfant dont on se moque et il est désormais l’adolescent qui subit en soupirant coups de poings et coups du sort. Jusqu’au jour où cet éternel optimiste réalise qu’un déplorable avenir l’attend s’il ne quitte pas la Réserve. Admis à Reardan, une école prestigieuse surtout fréquentée par les Blancs, Junior, se sent devenir un Indien à temps partiel.
Dans ce roman plein d’humour où se devine l’autobiographie, Sherman Alexie raconte à merveille, tous les combats, petits et grands, contre soi-même et les autres, qui se gagnent de haute lutte, à condition de porter bien haut les armes de l’intelligence, de la lucidité et de l’humour.
Un roman à partager entre ados et adultes, enrichissant pour les deux !
Deux lectures où il est question d’éléphants et de bien d’autres choses….
- « La tristesse des éléphants » Jodi Picoult 2017
Jenna avait trois ans quand a inexplicablement disparu sa mère Alice, scientifique et grande voyageuse, spécialiste des éléphants et de leurs rituels de deuil. Dix années ont passé, la jeune fille refuse de croire qu’elle ait pu être tout simplement abandonnée. Alors elle rouvre le dossier, déchiffre le journal de bord que tenait sa mère, et recrute deux acolytes pour l’aider dans sa quête : Serenity, voyante extralucide qui se prétend en contact avec l’au-delà ; et Virgil, l’inspecteur passablement alcoolique qui avait suivi – et enterré – l’affaire à l’époque.
Habilement construit et très documenté, La Tristesse des éléphants est un page-turner subtil sur l’amour filial, l’amitié et la perte.
- « Les racines du ciel » Romain Gary 1958
Pour l'homme blanc, l'éléphant avait été pendant longtemps uniquement de l'ivoire et pour l'homme noir, il était uniquement de la viande, la plus abondante quantité de viande qu'un coup heureux de sagaie empoisonnée pût lui procurer. L'idée de la «beauté» de l'éléphant, de la «noblesse» de l'éléphant, c'était une idée d'homme rassasié.
L'histoire raconte la lutte de Morel, le protagoniste du roman qui décide de faire cesser l'extermination des éléphants en Afrique au milieu du XXe siècle, la traque dont il est l'objet de la part des autorités, et, en parallèle, les conflits d'intérêt entre les engagements des uns et des autres : pour les éléphants, pour l'indépendance (car en Afrique-Équatoriale française, l'idée d'indépendance commence à prendre forme), pour la puissance coloniale, pour la sauvegarde des traditions, pour la marche en avant de l'homme vers la modernité, pour l'intérêt à court terme, pour l'honneur de l'homme.
Deux lectures sur fond d’anarchisme et de franquisme espagnol :
- « La fille du cannibale » Rosa Montero 2005
Lucia Romero et son mari Ramon sont dans une salle d'embarquement de l'aéroport de Barajas lorsque Ramon file aux toilettes. Il n'en ressortira jamais. Il s'est volatilisé. Plus tard, Lucia en plein désarroi, reçoit un avis de rançon si elle veut retrouver son mari vivant. Désespérée par l'inertie apparente de la police, Lucia va être aidée dans ses recherches pour retrouver son mari, par deux voisins, Félix un vieil anarchiste qui fut aussi torero au cours d'une vie tumultueuse et le jeune et séduisant Adrian. Trois générations s'entraident donc pour trouver la solution de l'énigme : Lucia a la quarantaine, Adrian 20 ans et Félix 80. Ce n'est pas un des moindres charmes de ce trio improbable, embarqué dans des situations parfois drôles, souvent périlleuses, où se côtoient malfrats de tout poil, diamantaires hollandais, et politiciens corrompus.
Au-delà des péripéties rocambolesques d'un récit fort bien mené, c’est d'abord un roman d'initiation, de prise de conscience d'une jeune femme qui se libère peu à peu d'une vie routinière, d'un mariage terne, et de l'image qu'elle se faisait de ses parents (le père « cannibale »). Lucia se construit sous les yeux du lecteur par la parole - elle s'analyse - et par l'écoute du récit de la vie de Félix, à elle seule un vrai roman.
Le personnage de loin le plus attachant est celui de Félix le vieil anarchiste qui a combattu aux côtés de Durruti. Pour Lucia, il ressuscite tout un pan de l'histoire de l'anarchisme espagnol avec ses ombres et ses lumières, et il est clair que la romancière a voulu d'une certaine façon lui rendre hommage.
- « L’enfant-pain » Agustin Gomez-Arcos 2010
Les lendemains de la victoire franquiste dans un village d’Andalousie. Une famille républicaine n'en finit pas de payer le prix de son engagement aux côtés des " rouges ". Pour les vaincus, la paix est synonyme de vengeance, d'humiliation et de soumission. La paix, c'est encore la guerre ; peut-être pire.
Un jeune enfant participe au malheur de ses parents et de ses frères et soeurs. Rongé par la faim, il assiste en silence à la répartition des miches de pain cuites par sa mère et qui ne sont pas pour lui. Il regarde le monde à sa hauteur, avec l'émotion et la fragilité de tous les enfants. Mais les épreuves l'ont si prématurément durci que c'est déjà un adulte qui nous raconte cette histoire noire des hommes, et qui la juge avec infiniment de compassion.
Deux romans du prix nobel de littérature 2017
- « Lumière pâle sur les collines » Kazuo Ishiguro 1982
Après le suicide de sa fille aînée, Etsuko, une Japonaise installée en Angleterre, se replonge dans les souvenirs de sa vie. Keiko, née d'un premier mariage au Japon, ne s'est jamais acclimatée à l'Angleterre, et surtout elle n'accepta pas le remariage de sa mère avec un homme qu'elle considéra toute sa vie comme un parfait étranger. Mais peut-être l'explication du drame demeure-t-elle enfouie dans le Japon de l'après-guerre, à Nagasaki, ville martyre qui se relevait des plaies de la guerre et du traumatisme de la bombe, durant cet étrange été où, alors qu'elle attendait la naissance de Keiko, Etsuko se lia d'amitié avec la plus solitaire de ses voisines, Sachiko, une jeune veuve qui élevait sa fille, la petite Mariko...
Premier roman de Kazuo Ishiguro, Lumière pâle sur les collines écrit dans un style dépouillé, limpide, tout en demi-teintes et en non-dits, reflet d'un passé mystérieux, est de ces livres qui reste à notre mémoire.
- « Les vestiges du jour » Kazuo Ishiguro 1989
(roman qui parait tellement britannique que l’on en oublie qu’il a été écrit, en anglais, par un japonais !)Les grands majordomes sont grands parce qu'ils ont la capacité d'habiter leur rôle professionnel, et de l'habiter autant que faire se peut ; ils ne se laissent pas ébranler par les événements extérieurs, fussent-ils surprenants, alarmants ou offensants. Ils portent leur professionnalisme comme un homme bien élevé porte son costume. C'est, je l'ai dit, une question de dignité." Stevens a passé sa vie à servir les autres, majordome pendant les années 1930 de l'influent Lord Darlington puis d'un riche Américain. Les temps ont changé et il n'est plus certain de satisfaire son employeur. Jusqu'à ce qu'il parte en voyage vers Miss Kenton, l'ancienne gouvernante qu'il aurait pu aimer, et songe face à la campagne anglaise au sens de sa loyauté et de ses choix passés...
Une lecture « portrait d’une époque révolue »…
- « En camping-car » Ivan Jablonka 2018
Ivan Jablonka est historien et écrivain. Il a publié au Seuil, dans "La Librairie du XXIe siècle", Histoire des grands-parents que je n’ai pas eus prix du Sénat du livre d'histoire 2012) et Laëtitia ou la fin des hommes (prix Médicis 2016). Dans ce livre, Ivan Jablonka esquisse une socio-histoire de son enfance, transformant l'autobiographie en récit collectif, portrait d'une époque.
Un livre d’art ou d’artiste ou les deux !
- Sophie Calle « Prenez soin de vous » 2007
Sophie Calle produit ici un livre très atypique, où tous les supports sont présents, lettres manuscrites, photos, films, dvd…. Sur un thème très inédit : la lettre de rupture…
« J'ai reçu un mail de rupture. Je n'ai pas su répondre. C'était comme s'il ne m'était pas destiné. Il se terminait par les mots : Prenez soin de vous. J'ai pris cette recommandation au pied de la lettre. J'ai demandé à cent sept femmes choisies pour leur métier, leur talent, d'interpréter la lettre sous un angle professionnel.
L'analyser, la commenter, la jouer, la danser, la chanter. La disséquer. L'épuiser. Comprendre pour moi. Parler à ma place. Une façon de prendre le temps de rompre. A mon rythme. Prendre soin de moi.”
Enfin, un petit bijou de littérature italienne comme on les aime tant !
- « Plus haut que la mer » Francesca Melandri 2012
1979. Paolo et Luisa prennent le même bateau, chacun de son côté, pour se rendre sur l’Île. Mais ce n’est pas un voyage d’agrément, car c’est là que se trouve la prison de haute sécurité où sont incarcérés le fils de Paolo et le mari de Luisa. Ce dernier est un homme violent qui, après un meurtre commis sous le coup de la colère, a également tué un surveillant en prison, tandis que le premier a été reconnu coupable de plusieurs homicides politiques sur fond de révolution prolétarienne. L’homme et la femme ne se connaissent pas, Paolo est professeur de philosophie, mais il n’enseigne plus ; Luisa, elle, est agricultrice et élève seule ses cinq enfants. À l’issue du voyage et de la brève visite qu’ils font au parloir de la prison, ils ne peuvent repartir comme ils le devraient, car le mistral souffle trop fort. Ils passent donc la nuit sur l’Île, surveillés par un agent, Pierfrancesco Nitti, avec qui une étrange complicité va naître. Pour ces trois êtres malmenés par la vie, cette nuit constitue une révélation et, peut-être aussi, un nouveau départ.
Prochain café des lecteurs Samedi 5 mai 2018
Et d’ici là, Bonnes lectures !
A découvrir aussi
- Compte rendu du café des lecteurs du 8/10/2016
- COMPTE RENDU CAFE DES LECTEURS 4 - 21/01/17
- COMPTE RENDU DU CAFE DES LECTEURS 11 – 16/12/17
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 104 autres membres